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Clare Egan : « La plupart des biathlètes américains ne gagnent pas d’argent »

Dans le cadre de notre premier long format intitulé « Le biathlon au pays des cowboys », nous avons recueilli une multitude de témoignages dont celui de la « number one » américaine la saison dernière, Clare Egan. Représentante des athlètes au Conseil exécutif de l’IBU, elle nous fait par des difficultés à être biathlète aux États-Unis…

L’hiver dernier, deux épreuves de Coupe du monde ont eu lieu en Amérique du Nord, dont une aux États-Unis à Salt Lake City (Soldier Hollow, Utah). Comment avez-vous vécu cette semaine de compétition dans votre pays ? Votre famille est-elle venue vous encourager ?

 » J’ai adoré la compétition aux États-Unis. L’ambiance était très différente des courses européennes, d’une manière unique et américaine. Les fans étaient bruyants et s’amusaient beaucoup, avec beaucoup de familles et d’enfants. J’ai eu près de 40 amis et membres de ma famille qui sont venus de partout du pays pour me voir courir, ce qui était spécial. Ils ne me verront probablement plus jamais courir.« 

Vous sortez de votre meilleure saison en carrière avec notamment de bons résultats aux Mondiaux d’Ostersund et votre tout premier podium en Coupe du Monde sur la mass-start d’Oslo. Nous sommes aujourd’hui à seulement quelques semaines du début de la saison, quels sont vos objectifs pour cette année ?

« Mon entraînement estival s’est très bien déroulé, et je suis excitée et confiante pour l’année à venir. J’espère continuer à m’améliorer et à être plus constante afin de pouvoir gravir les échelons. Un de mes objectifs est de gagner une médaille aux Championnats du monde. Je sais que je peux le faire ! »

Clare Egan sur le dernier podium de l’hiver 2018/2019 © IBU

Les prochains Championnats du Monde seront organisés à 1700m d’altitude à Antholz. Avez-vous adapté votre entrainement en conséquence ? Si oui, de quelle façon ?

 » J’aime la compétition en haute altitude, surtout à Antholz. Nous sommes actuellement en camp d’entraînement dans l’Utah, aux Etats-Unis, qui se trouve à une altitude similaire mais encore plus élevée que celle d’Antholz. Je serai donc bien préparée physiologiquement et sur le plan de ma stratégie de course. Il faut se prépare différemment quand il n’y a pas beaucoup d’oxygène. »

Aussi peut-être que si je continue le biathlon, Martin m’invitera à son festival à Annecy.

En 2017 dans une interview pour l’IBU vous racontiez savoir parler 6 langues différentes, notamment le Français que vous avez appris à l’école car votre État (le Maine) est très proche (frontalier) du Québec, province Francophone du Canada. Êtes-vous déjà venu en France mis à part pour la coupe du Monde 2017-2018 au Grand Bornand ? Où avez-vous prévu de venir visiter notre pays un jour ?

« J’ai visité Paris deux fois, ainsi que Nice, Avignon, Lyon, Grenoble, Corrençon-en-Vercors (l’hôtel de Marie Dorin-Habert !) et Le Grand Bornand. J’ai également étudié à l’Université de Fribourg en Suisse Romande pendant un semestre et j’ai donc une certaine expérience de la vie dans un pays francophone. Mais j’aimerais revenir en France ! J’aimerais visiter Toulouse, Marseille, et faire une dégustation de vins et fromages. Aussi peut-être que si je continue le biathlon, Martin m’invitera à son festival à Annecy. »

L’équipe américaine cet été sur le pas de tir de Corrençon-en-Vercors © IBU

Cela fait un petit peu plus d’un an que vous avez été élue en tant que représente des athlètes au Conseil d’administration de l’IBU. Pouvez-vous nous parler de votre rôle, de ce qu’il signifie et des sujets abordés ?

« Jusqu’à l’année dernière, il n’y avait jamais eu un athlète au Conseil exécutif de l’IBU, ce qui signifie que toutes les décisions étaient prises sans que les athlètes puissent faire entendre leur voix. Maintenant que nous avons une voix au conseil, il est très important que nous la prenions au sérieux et que nous l’utilisions. Je m’efforce donc de créer un bon précédent pour ce que signifie être responsable dans ce rôle. Je travaille avec mes collègues (Martin Fourcade, Aita Gasparin, Erik Lesser et Daniel Böhm, dont le dernier est le représentant des athlètes au Comité Technique). Nous représentons les athlètes au sein de l’IBU et nous aidons également l’IBU à communiquer avec les athlètes.

Au cours de l’année écoulée, l’IBU a réalisé plusieurs projets majeurs, dont la rédaction d’une toute nouvelle constitution. C’était très important pour les athlètes parce qu’elle a introduit des changements liés à l’intégrité qui assureront une gouvernance plus honnête et plus transparente. Par exemple, la nouvelle constitution comprend une unité d’intégrité du biathlon qui gérera de façon indépendante toutes les violations des règles antidopage et éthiques. Les athlètes, y compris notre comité, devraient maintenant pouvoir se concentrer sur les questions liées au sport, car les principaux problèmes d’intégrité semblent être derrière nous. »

la plupart de notre gigantesque pays n’a pas la culture de la neige ou des sports d’hiver.

Votre pays est numéro 1 dans de nombreux domaines et dans de nombreux sports, mais le biathlon est un sport peu développé et peu promu par rapport au potentiel qu’un tel pays pourrait avoir. Comment voyez-vous l’évolution de votre sport depuis vos débuts ?

« Depuis que j’ai commencé le biathlon en 2015, les États-Unis ont remporté leurs premières médailles aux Championnats du Monde de biathlon pour hommes et femmes (2017 par Lowell Bailey et Susan Dunklee). Ce fut un énorme succès pour notre équipe, où nous avons montré que nous pouvons rivaliser avec les meilleurs au monde. En 2018, les fondeurs Jessie Diggins et Kikkan Randall ont remporté la première médaille olympique cross-country pour les États-Unis depuis les années 80. Le biathlon s’appuie sur le succès du programme de cross-country très populaire et très réussi.

Malheureusement, notre télévision est monopolisée par quatre sports masculins (baseball, football américain, hockey et basketball) et il n’y a presque pas de place pour autre chose. Il est également important de se rappeler que la plupart de notre gigantesque pays n’a pas la culture de la neige ou des sports d’hiver. L’introduction d’un nouveau sport d’hiver n’est donc pas facile ! Mais avec notre succès au plus haut niveau, nous espérons accroître l’intérêt au niveau du développement, et finalement aux spectateurs partout dans le monde. »

Clare Egan sur le relais dames de Championnats du Monde d’Ostersund 2019 © Robert Henriksson

Tous les athlètes de l’IBU Cup et du groupe de développement paient tous leurs propres dépenses de course/voyage.

Lowell Bailey dans une interview pour le site web NPR a déclaré que le biathlon aux États-Unis fait toujours face à des problèmes budgétaires. Comment l’USBA vous aide-t-il lorsque vous voyagez en Europe ? Devez-vous parfois payer certaines dépenses avec votre propre argent ?

« L’équipe américaine de biathlon est financée par des fonds privés. Nous ne recevons aucune aide gouvernementale. Nos athlètes ne sont pas non plus payés par le gouvernement ou l’armée, comme c’est courant en Europe. Et la plupart d’entre nous (y compris moi) n’avons pas de sponsors personnels. Ainsi, la plupart des biathlètes américains ne gagnent pas d’argent. La seule exception est que l’USAB paie à ses meilleurs athlètes de l’équipe nationale une petite allocation mensuelle, et bien sûr si vous réussissez à un très haut niveau, vous pouvez gagner des primes. L’USAB couvre la plupart des dépenses sportives de l’équipe de la Coupe du Monde (voyages, nourriture, logement, camps d’entraînement, courses, entraînement, munitions, etc), mais pas toutes. Et tous les athlètes de l’IBU Cup et du groupe de développement paient tous leurs propres dépenses de course/voyage. »

De même pour les sponsors, il y a quelque temps, Susan Dunklee avait collé un autocollant sur son fusil qui disait : « Des millions de téléspectateurs. Votre annonce ici » qui lui a permis de trouver rapidement des sponsors. Est-il difficile pour vous d’avoir des marques qui veulent être vos sponsors ?

 » J’aurai le même autocollant en décembre !!!!! Surveillez-le et dites-moi si vous connaissez quelqu’un qui veut me parrainer, mes coéquipiers ou toute l’équipe !!!! « 

Clare Egan, Susan Dunklee & Joanne Reid © IBU

Depuis plusieurs années le port d’arme est un sujet difficile aux États-Unis, d’autant plus que chaque année de nombreuses attaques armées font de nombreux morts dans le pays. Vos compatriotes Lowell Bailey, Susan Dunklee and Joanne Reid ont parlé sur le sujet dans le Washington Post, vous avez même tweeté en soutien de ce qu’ils avaient raconté. Pouvez-vous nous en dire plus sur la relation entre le biathlon et les armes à feu au États-Unis en général ?

« Les armes sont très controversées aux États-Unis, mais les lois sont extrêmement souples par rapport à l’Europe. Certains Américains croient très fermement que le « droit de porter des armes » (le droit de posséder des armes) est un droit fondamental, qui donne aux gens le pouvoir contre la menace d’un gouvernement corrompu. Cette idéologie remonte aux années 1700, lorsque les États-Unis ont été fondés et que des milices locales se sont battues contre l’armée britannique. Cependant, beaucoup d’américains croient aujourd’hui que cette idéologie est dépassée et que nous avons besoin de lois plus strictes.

Bien sûr, pour le biathlon, nous utilisons des armes tous les jours, et je ne suis pas opposée à la possession d’un fusil pour le biathlon. Mais je pense que nous avons besoin de lois beaucoup plus strictes sur la possession d’armes à feu et que nous devrions interdire les armes d’assaut qui sont conçues pour tuer des gens en temps de guerre. Je pense que les pays européens ont des lois raisonnables sur la possession d’armes à feu, et les États-Unis devraient en avoir autant. »

Clare Egan en chiffres :

Crédit photo : Andrei Ivanov

Clare-Egan